Braque: Le viaduc de l'Estaque

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Le Viaduc à l'Estaque de Georges Braque, toile peinte en juin-juillet 1908, montre un flanc de colline provençale. La végétation y est uniquement composée d'arbres et les maisons ressemblent moins à des habitations qu'à des cubes et des lignes. Celles ci permettent de construire la toile en fonction de la géométrie et dirigent le regard du spectateur.

Ce paysage est un peu particulier et surtout très dense ; les arbres s'y croisent, les masses sont compactes et géométriques, les maisons n'ont ni porte ni fenêtre ce qui les rend plus massives.

Leur entassement sur le flanc de la colline leur donne l'apparence de rochers, elles sont comme intégrées à la nature qui les entoure.

Ici, Braque ne respecte pas la lumière naturelle et ce sont les couleurs qui construisent la toile. Hormis les arbres, la lumière jaune orangée semble tout dévorer. Les couleurs sont transposées par de vives hachures bien visibles sur l'ensemble de la toile. Mais l'intensité des volumes fait disparaître celle de la lumière. Pour la première fois, Braque renonce au chromatisme du fauvisme afin de rendre compte de l'harmonie naturelle locale.

Il ne respecte pas davantage la perspective traditionnelle et les seuls points de repère solides pour l’œil sont les toits triangulaires et le massif viaduc. Celui-ci sert d'appui au regard, mais il est aussi la frontière entre le ciel et la terre dont la frontalité stoppe la perspective. Sa massivité est contrebalancée par les piliers qui semblent plus fragiles et instables. Est-ce dû à leur irrégularité ? Ou alors, est-ce dû aux ombres plus sombres qu'ils produisent ?

Quoi qu'il en soit, cette construction massive aux couleurs vives contraste intensément avec le ciel d'un bleu presque pur, dont les hachures irrégulières et clairsemées rendent fidèlement le caractère volatile de l'œuvre. C'est un ciel qui semble presque irréel à travers sa fragilité et son instabilité.

Les groupes de maisons posés à flanc des collines laissent penser que la vallée naturelle et les constructions humaines ne forment qu'un même élément. Braque parvient à rendre l'impression d'une harmonie entre la nature et les habitations, qui semblent être faits de la même matière.

Par conséquent, la présence des maisons et du viaduc ne choque pas, même dans cette vallée qui reste sauvage. Et les arbres entre les maisons intensifient cette impression d'unité entre la nature et les édifices.

 

Durant cet été 1908, Georges Braque a 26 ans et se rend une nouvelle fois à l'Estaque sur les traces de Cézanne, qu'il considérait comme son maître spirituel depuis l'exposition rétrospective de ses œuvres à Paris en 1907. Le jeune peintre est fasciné par l'aspect fragmentaire des toiles du maître dont il se veut le descendant.

 

Cette année là dans le sud, il réalise trois toiles représentant ce même paysage de viaduc sous un angle différent. Cette toile ci, la seconde de la série, fut esquissée en Provence sur le motif et achevée dans l'atelier parisien. Cette série était destinée au Salon d'Automne de 1908, où elle fut refusée alors que les toiles fauves de Braque avaient été très appréciées l'année précédente. Face à ce refus insensé du Jury, le marchant d'art, D.H Kahnweiler organise la même année une exposition privée pour Braque dans sa propre galerie. A cette occasion, le critique Louis Vauxcelles déclara que le peintre nous donnait à voir des réductions «à des schémas géométriques, à des cubes».

Comme on le remarque, c'est à cette période que Braque commence à se détacher du fauvisme qu'il pratiquait depuis presque un an. Malgré son amitié avec Dufy et Fritz, son attachement à la peinture fauve commençait à s'effriter. De plus, Apollinaire le présente à Picasso dont lesDemoiselles d'Avignon permettent à Braque de se doter d'une toute nouvelle vision de la peinture. Plus tard, il avoua lui même que le fauvisme lui correspondait durant sa jeunesse, car ce courant était «enthousiaste» et dynamique. Mais en 1908, il sent que cette vivacité picturale ne peut pas durer. Toutefois, la rencontre avec Picasso n'est pas à oublier en rapport avec cette évolution artistique.

Si ce Viaduc à l'Estaque fait partie de toute une série sur la Provence, il ne semble pas que le paysage soit le sujet majeur de Braque, même si, à l'instar des impressionnistes, il tenait ce genre dit « mineur » en haute estime. Pour Braque, peindre des paysages permettait d'expérimenter et il utilisait la nature comme un «laboratoire». On peut imaginer que tel fut le cas de la Provence car cette année-là, l'artiste cherche une nouvelle approche de l'art. Il réduit donc son langage pictural, et se retrouve (un peu malgré lui sans doute) opposé aux fauves,ses anciens comparses...

Braque disait «Je porte la lumière avec moi», et celle l'Estaque était particulièrement propice au travail de l'artiste. C'est dans ces lieux qu'il parvient enfin à se détacher de l'héritage impressionniste et fauve. Il disait que ses toiles de l'Estaque avaient été soumises «aux influences de la lumière, de l'atmosphère, à l'effet de la pluie qui ravivait les couleurs» . Il y réalisa plus de 40 paysages d'une maîtrise d'exécution remarquable, dans lesquels il exprimait la stabilité émanant des éléments, et non plus les impressions colorées comme ça avait été le cas en 1906.

L'été 1908 fut en effet celui où Braque remit en cause la construction du paysage, car il cherchait à pouvoir représenter la permanence de la nature. En s'inspirant de Cézanne, il freina la perspective, élimina certains contours, simplifia les formes et donna à voir des peintures à la frontalité brutale. Selon Kahnweiler, cette période de transition est une «continuation de l'œuvre de Cézanne», car Braque cherche alors à redonner toute leur massivité aux objets et ce, au dépens de la lumière.

Les formes géométriques sont appropriées à cette volonté de montrer la solidité durable des choses, mais cette géométrie abolit aussi les effets atmosphériques.

Par ailleurs, le peintre commence ici à assagir et à réduire sa palette à des tons plus ocres et éclairés par de fines nuances vertes ou bleues. Le refroidissement de sa gamme chromatique lui permet d'unifier les nuances de ses toiles. Les couleurs et les masses s'équilibrent parfaitement dans un paysage mêlant la végétation aux constructions humaines. Braque expliqua que, pour en arriver à ce résultat innovant, il dû se « sevrer » du fauvisme.

Cette toile et toute la série ainsi constituée, démontre le passage du fauvisme au cubisme, à une époque où le peintre se rapproche de Pablo Picasso. Leur technique est alors similaire mais leur style les différencie certainement.

Avec cette série, Braque inaugure ce que sera le cubisme.

Le critique d'art Louis Vauxelles donna son nom au mouvement cubiste après avoir admiré Le Viaduc à l'Estaque.

 

[Georges Braque, Le Viaduc à l'Estaque, 1908, 72,5 x 59 cm.

conservée au Musée national d’ Art Moderne de Paris ]

Logo accessLilith L.

Contact: access.access01@gmail.com

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